On entend souvent dire que l’Egypte c’est le Nil. Eh oui, le Nil qui étendait chaque année ses limons fertiles, tel une chaire épaisse et bienfaisante sur l’aridité du désert. Rassasiés, ceux qui ne s’appelaient pas encore les Egyptiens, observaient la faune du grand fleuve, favorable ou bien hostile, se rappelaient les animaux du même acabit qu’ils avaient abandonnés à leur sort dans la savane toute proche. Ces hommes auraient pu bêtement les craindre, ne voir en eux que des ennemis et se replier derrière les palissades illusoires de la peur. A l’inverse, les proto-Égyptiens vont se concilier leurs faveurs, les amadouer, si on peut dire, et transformer leur nature en les sublimant. Et le bestiaire va devenir divinités au pluriel. Le ciel peuplé d’étoiles, mystérieuses et inaccessibles, n’echappera pas à leurs métamorphoses, à l’instar du soleil qui dispense la vie et de la lune qui éclaire les chemins.

La spiritualité est née, et avec elle, les rites qui l’accompagnent. D’abord avec de simples pierres assemblées qui vont figurer les dieux naissants, des invocations courtes et directes. Les autels suivront, enchâssés dans des temples de plus en plus imposants, avec la caste des prêtres pour attirer les bonnes grâces divines. Et le somptueux le disputera au grandiose, alimentés  par toutes les richesses d’un peuple qui, au fil des siècles, des millénaires même, deviendra la nation, la société la plus évoluée de son temps : l’empire Egyptien ! De la Lybie a la Haute Nubie, en passant par la Syro-Palestine et jusqu’à l’Euphrate, les dieux de la Double Terre se montreront les plus forts avec, à leur tête, le roi des dieux et le dieu des rois de Thèbes, AMON ! Ses associés étaient cependant nombreux (+_ 2000) et recouvraient presque tous les aspects et menaces de la vie.  A travers des rites magiques souvent compliqués, des oracles et autres divinations, les suppliants leurs faisaient des offrandes dans l’espoir de se concilier leurs faveurs et, après une vie droite, de pouvoir gagner en paix les champs parfumés de Ialou(le paradis). Un vrai parcours du combattant qui semblait a tout jamais immuable. Pourtant, AKHENATON et NEFERTITI vont bousculer l’ordre établi et provoquer un séisme. A une Egypte immobile, confinée dans ses traditions superstitieuses et idolâtres, savamment entretenue par la caste des prêtres qui confisquaient la foi à des fins de pouvoir et d’enrichissement, le couple solaire opposera une conception inédite et universelle : le soleil d’ATON brille pour tous, sans restriction !

 Mais, comme l’explique très bien Roger Sabbah, avant de construire une nouvelle spiritualité, il faut d’abord déconstruire l’ancienne, à commencer par les images de ces dieux innombrables, façonnées de main d’homme et qui lui ressemblaient sans doute trop dans leur comportement pour lui être vraiment supérieur. Dans l’ Egypte antique, la manière la plus efficace de réduire a néant une être, fut-il céleste, était d’effacer son nom pour lui ôter toute existence ; AKHENATON va s’y appliquer avec un zèle tout particulier puisqu’il va ordonner la fermeture d’un grand nombre de temple d’AMON – sauf le complexe religieux de Karnak qui comportait au moins un temple dédié à ATON – mais aussi ceux des autres divinités traditionnelles. Seul RA, aspect visible d’ATON, échappera bien sûr au discrédit…l’herbe pousse sur les chemins qui traversent les temples et on y voit passer les animaux de bât…  

Si, pour les prêtres d’ATON, l’interdiction et le bannissement des images des dieux multiples formaient la base du culte, les tenants des anciennes divinités vont continuer à adorer les représentations immémoriales des dieux. Une rivalité trop souvent sanglante va s’installer pour devenir, au fil du temps, le plus grave conflit interne qu’a enduré l’Egypte.    

Une vraie révolution !

Le matériel archéologique est suffisamment abondant pour permettre une vision convaincante de ce que furent ces évènements tragiques, sans oublier l’action d’AKHENATON et NEFERTITI qui joueront un rôle clé dans leur déroulement. L’auteur, quant à lui, nous font découvrir deux personnages qui se montrent tour à tour extraordinaires…ou tout simplement vulnérables car, ne l’oublions pas, ils furent d’abord et avant tout des êtres faits de chair et de sang, ayant chacun son caractère, sa sensibilité. Bref, un homme et une femme qui, ensemble, vont vivre tout ce qui fait la vie, de la douceur insouciante du matin aux soirs d’orage, des joies de l’amour aux trahisons les plus dures, les coups d’audace…

Philip KAYNE

Romancier Egyptologue

« LES CONQUERANTS D’ATON » Tome 1, 2 et 3

Editions Baudelaire